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Appel à articles : « Ensemble dans la ville : Mixité sociale, ségrégation et entre-soi »

03/01/2021

Revue Rives Méditerranéennes

Appel à articles pour un dossier thématique :

« Ensemble dans la ville : Mixité sociale, ségrégation et entre-soi »

Dossier sous la coordination de Dr. Nora Gueliane et Pr. MadaniSafar Zitoun

Date butoir : fin mars

Pour plus d'informations : https://calenda.org/848175

 

La ville est par excellence le lieu où se manifeste la différenciation socio-spatiale, donc la façon dont les différents groupes sociaux se répartissent, se côtoient, s’évitent. L’espace urbain devient ainsi le lieu des contacts sociaux, de division et de conflit. La mixité sociale, la ségrégation, la diversité, autant de termes qui font florès aujourd’hui et qui témoignent de l’importance de la composition et de la segmentation sociale de nos villes. On les retrouve dans les travaux de chercheurs, dans les rapports ministériels, dans les textes réglementaires, dans les copies d’étudiants, et même dans la presse quotidienne. Pour autant, les questions de société qui se cachent derrière sont-elles aussi claires qu’on voudrait parfois le croire ? Dans ce contexte, le concept de mixité sociale est régulièrement avancé comme moyen de lutte contre les inégalités, la ségrégation et la division, mais qu’entend-on, nous, par mixité sociale ?

Étymologiquement, la mixité est l’état de ce qui est mixte, donc composé de plusieurs éléments de différentes natures : sexe, religion, race, couleur, etc. Elle renvoie à l’idée de coexistence dans un même espace de groupes sociaux aux caractéristiques différentes (Selod, 2004). L’usage du concept même de mixité est récent. La notion apparaît dans les années 1950, en France, pour désigner la co-présence des filles et des garçons dans les mêmes classes et établissements scolaires (Pezeu, 2011 ; Bihr, 2014). La mixité sociale est, aussi définie par ce qu’elle est censée produire – la justice sociale – et combattre (son contraire) – la ségrégation –. Au cours des années 1990, la mixité a fait référence à d’autres formes de mélanges, d’où les différents attributs qu’elle a eu : « mixité sociale »,« scolaire » « religieuse », « spatiale », « ethnique », « urbaine », « fonctionnelle », « résidentielle », « architecturale », « intergénérationnelle » (Oberti, 2005 ;Payet, 1999 ; Noreisch, 2005 ; Gramberg, 1998 ; Augustin, 1993 ; Ben-Ayed, 2015 ; Semmoud, 2004 ; Pinçon Et Pinçon-Charlot, 1989 ; Éleb, Violeau, 2008). Comme s’il n’était pas possible de définir la mixité sans un qualificatif.Dans les politiques urbaines, le terme « mixité sociale » n’apparaîtrait concrètement qu’à partir de 1980 pour la France et un peu plutôt aux États-Unis. Depuis ce temps, un nombre croissant de villes favorisent la mixité sociale comme solution pour s’attaquer à la ségrégation, aux effets de quartier, à l’exclusion, à la discrimination, à la distinction (ethniques, résidentielle, religieuse, raciale, etc.), au communautarisme, et à la création des quartiers défavorisés (zones sensibles, quartiers interdits et ghettos), voire à apartheid social. (Brun, 1990 ; Éleb, Violeau, 2008 ; Cary, Fol, 2012 ; De Queiroz, 2003 ; Fol et al., 2013 ; Brun, 2008 ; Edmond, 2006 et 2009 ;  Massey & Denton, 1995 ; Rivière, 2014 ; Charmes, Bacqué, 2016). Elle forme depuis des décennies un référentiel des politiques publiques urbaines aux États-Unis, en Suisse, en France, en Grande-Bretagne et d’autres pays européens. (Lelévrier, 2010 ; Kleinhans, 2004 ; Lamas, 2009 ; Deschamps, 2001 ; Lenel, 2013 ; Marissal, 2017). Elle suppose que les interactions entre les groupes sociaux différents sont bénéfiques et permettent la construction, la reconstruction ou la préservation d’une société inclusive (Albert, 2017). De fait, elle vise la réduction des inégalités socio-spatiales, économiques, et ethniques (Touraine, 1997 ; Paugam, 2007 ; Kirszbaum, 2008, Simon et Kirszbaum et al. 2001) de sorte à s’assurer que leur degré ne porte pas atteinte à la cohésion sociale, ou l’apparition « d’isolats socio-spatiaux » (Kirszbaum, 2011 ; Vuaillat et Madoré, 2010). Bien que la mixité sociale ait été fortement adoptée par les politiques de la ville, certains auteurs restent, néanmoins, réservés sur ses objectifs et son efficacité (Smith, 2002 ; Tissot, 2007 ; Albert, 2017 ; Charmes, 2009 et 2006 ; Bacqué, 2011). Certains voient surtout dans le concept un outil de légitimation de politiques urbaines socialement excluantes menées au profit des populations aisées. Au mieux, elle est considérée comme une lutte contre la seule visibilité de la pauvreté dans la ville, par dilution spatiale et par réduction des « ghettos » (Marissal, 2017). L’enjeu est donc de générer une mixité allant au-delà du fait de faire résider côte à côte des populations socialement différenciées. Cela permettrait de dépasser les effets d’interactions faibles entre groupes sociaux, caractérisés par l’indifférence, l’évitement, voire le conflit (Chamboredon et Lemaire, 1970 ; Burdèse, 2002).

Ces premiers éléments de définition témoignent de l’ampleur des travaux traitants de la mixité, mais surtout du flou conceptuel qui règne (Kirszbaum, 2008, p. 9). La notion recouvre différentes significations, ce qui lui confère un « caractère mythique et incantatoire » (Bacqué et Fol, 2001). Fortement controversée, elle repose sur une série de postulats qui apparaissent à tout le moins critiquables et l’efficacité de sa mise en application est souvent remise en question (Lenel, 2011 ; Bacqué et Simon, 2001; Chamboredon et Lemaire, 1970; Tanter et Tou bon, 1999, Charmes, Bacqué, 2016 ; Dansereau et al.,2002). Ainsi, la mixité sociale reste une notion intrinsèquement relative, rebelle à toutes les tentatives d’objectivation. Qu’on l’envisage sous l’angle de la distribution spatiale des statuts d’occupation ou des catégories de populations, les définitions achoppent sur l’inévitable arbitraire qui préside au choix des critères (quels logements ? quelles populations ?) et de l’échelle de la mixité (l’immeuble ? Le quartier ? La ville ? L’agglomération ?) (Kirszbaum, 2012).

C’est à partir de ce constat que nous envisageons, par ce dossier, de revenir au concept de la mixité, de sa genèse, de son évolution dans le temps et dans l’espace et surtout suivant les contextes. Dans ce numéro, la mixité urbaine et sociale peut être appréhendée tant du côté des politiques urbaines officielles que par des cas concrets et des études empiriques. L’idée est de sortir de la perception officielle du concept (des discours des politiques urbaines) pour englober une perception contextualisée suivant les cas étudiés (Gueliane, 2019). Ici nous encourageons les propositions de cas d’études traitant des villes maghrébines. Des pays où, souvent, une politique officielle de mixité sociale et urbaine n’est pas mise en place, mais sans que cela n’empêche l’existence de problématiques dans ce sens. À partir de cela, plusieurs pistes de recherche possibles se dégagent, sans être limitatives :

*      La première consiste à faire une analyse du concept de la mixité urbaine (sociale) et du vivre ensemble. Il s’agit donc de revenir sur les différentes approches du concept, son origine et ses applications dans différents terrains, ses avantages et inconvénients, et les critiques qui lui sont faites. Il s’agit aussi d’élucider les conditions de son application, ses objectifs, et ses enjeux, en illustrant cela par des expériences concrètes menées en la matière – des cas de réussite et d’échec. Ici, nous soulignons que la généralisation (et la projection) du concept de la mixité sociale dans sa perception occidentale ne semble pas être favorable à l’examen de tous les cas d’étude. Un soin particulier sera donné aux articles traitants des cas où une politique de mixité n’est pas adoptée (officiellement), mais que des problèmes de cohabitation sont enregistrés. L’enjeu sera donc de contextualiser et de redéfinir les concepts suivant un contexte particulier différent des expériences menées dans la rive nord (Europe et Amérique du Nord).

*      Un ensemble de questionnements peuvent être alors soulevés. S’agit-il d’une question de mixité ou plutôt de ségrégation ou d’autre chose ? D’une identité arc-boutée sur elle-même à un point tel qu’elle refuse l’altérité ? S’agit-il d’un problème social ou bien de l’ethnique et du religieux, qui se conjugue en une identité qui s’inscrit dans des lieux qui ne sauraient être partagés ? Surtout que la mixité sociale a trait à des politiques publiques qui visent à éviter les ségrégations et les phénomènes de ghettos, en posant comme principe que cette mixité est la condition de la vie démocratique, de l’accès aux libertés et à la citoyenneté (ce fut le cas en France et aux États-Unis). Dans certains pays, ces politiques publiques ne sont pas à l’œuvre, du moins avec ces objectifs-là, et la ségrégation, en tout état de cause, existe préalablement à toute action qui essaierait d’aller à son encontre. Si ces hypothèses sont confirmées, une fixation sur le concept de la mixité sociale peut nous conduire à un cul-de-sac. Nous serons donc amené, dans ce type de cas, à parler d‘une « mixité ethnique » ou « mixité religieuse » ou encore « mixité de légitimité » (légitimité d’être dans les lieux) « autochtone/allochtone », ou de tout cela, à la fois. De vérifier si deux populations peuvent-elles vivre de façon juxtaposée, côte à côte, avoir même des relations amicales ou professionnelles, sans qu’il y ait la moindre once de mixité ? Ces formes de « côte à côte », qui n’excluent pas flambées de racisme, destructions, etc. Ici, nous pouvons faire référence aux productions de l’École de Chicago, même si ancienne, pour notre réflexion que les articles récents sur les politiques urbaines européennes visant à la « mixisation » sociale (Gueliane, 2019).

*      La deuxième piste est celle d’élucider les formes de communautarisation et l’élargissement des décalages socio-économiques dans les villes du Maghreb. L’apparition des isolats volontaires, des villas surveillées, des immeubles hauts standings réservés aux classes aisées, d’isolats ethniques et doctrinaux, surtout dans les contextes de conflits et de violences urbaines. Nous encourageons l’étude des cas dont les contextes sont marqués par des enjeux socio-économiques, démographiques, politiques, et fonciers et urbains énormes. Des enjeux dont deux communautés (ou plus) se disputent, en ayant dans certains cas recours à la violence. Tout en ayant à l’esprit de ne pas négliger les référents communautaires et tribaux, qui ont leurs mots à dire dans le façonnement de l’espace dans les villes de certains pays et qui ont un impact direct sur la mixité sociale. Enfin, les effets des politiques foncières, les modalités de distribution des logements étatiques ainsi que les effets éventuels des lois du marché sur les mobilités résidentielles ne sont pas, elles aussi, à négliger

*      Dans une troisième piste, un soin particulier à la nature des liens intercommunautaires est important. De fait, un retour historique sur la nature de ces rapports (avant et après un événement impactant le vivre ensemble) semble indispensable. Une sorte de relecture del’histoire, c’est-à-dire la reprendre dans une autre finalité en centrant nos connaissances sur le sujet suivant : comment les natifs recevaient-ils les étrangers à leur société et leur culture, comment vivaient-ils « à côté » d’eux (ou avec eux ?), etc. À partir de là, on pourrait essayer de suivre, dans la chronologie, la façon dont les choses ont évolué, à la fois en termes d’urbanisation, de ségrégation spatiale et d’évolution des rapports sociaux (et économiques). Si les natifs ont intégré des étrangers, ils l’ont fait par quels processus ? Et sous quelle forme ? Puis, étayer les différentes politiques étatiques adoptées afin de favoriser — ou pas — un minimum de cohabitation entre les deux (ou plus) populations. Des politiques qui peuvent aussi, dans certains pays, être à l’origine de l’amplification du problème — (Madani Safar Zitoun, 2004; 2009;2010a; 2010b; 2011;2012; 2013). C’est tout le processus qui se crée alors qui permet d’interroger la mixité et la non-mixité. Ce sont les frustrations qui en naissent, d’un côté ou de l’autre, le sentiment des uns d’être dépossédés de leur patrimoine ou de leur culture, le sentiment des autres d’être considérés comme des intrus, etc. qui nourrit la tendance à la séparation. Du coup, de quand date la rupture qui pousse une société (une communauté, un groupe) à se constituer en force dominante et à exclure en se considérant comme « légitime » ? Puis, il est important de savoirqui détient le pouvoir politique et économique, des rapports « riches/pauvres », « dominants/dominés » : autrement dit, qui a le pouvoir de l’argent, du politique ? À notre avis il est impossible d’aborder la question de la mixité, du vivre ensemble, et la ségrégation si ces questions essentielles, bien que sensibles, sont occultées.

*      Enfin, les villes du Maghreb se transforment physiquement et socialement. Ces reconfigurations suscitent des évolutions sociales de la composition des quartiers, mais aussi des relations de voisinage. La diversification des modèles résidentiels modifie l’organisation des espaces publics, dont les usages sont très segmentés selon les groupes d’âge ou de genre. Les revendications politiques laissent plus de liberté à l’expression culturelle, mais on note aussi une résurgence du laxisme architectural et des délinquances. Ces transformations sont planifiées par des administrations et bureaux d’études qui empruntent des modèles en Europe, Moyen-Orient et Asie. La diffusion transméditerranéenne des concepts, idéologies, injonctions administratives, puis leur "application" aux réalités urbaines nationales modulent les conditions de vie des habitants. En retour, ceux-ci composent de nouveaux usages influencés par la généralisation de la voiture, le développement des transports, la diffusion de la téléphonie mobile et la connexion aux diasporas intercontinentales.

Ce dossier de la revue Rives Méditerranéennesinvite à explorer les situations de mixité, de ségrégation et d’isolement (d’auto-isolement) dans les villes du Maghreb. L’objectif est un apport théorique, conceptuel pour l’étude de la question de la mixité urbaine (sociale) et du vivre ensemble. Les études de cas sont très encouragées. Un soin particulier est porté aux cas d’études des villes du Maghreb et aux études comparatives. À ce propos nous rejoignons Jérôme Chenal, qui a bien su montrer à quel point la ville africaine est riche d’enseignements généraux, car elle exacerbe les problèmes et les rend ainsi visibles et analysables. L’auteur qui plaide, à travers ses travaux et recherches, pour abolir la double perspective culturaliste et développementaliste selon laquelle les villes africaines sont souvent comprises : dans cette perspective, elles seraient hors-normes (anormales), marginales voire exceptionnelles. Chenal défend de manière convaincante la position exactement inverse : la ville africaine est un remarquable instrument d’optique pour analyser les processus urbains contemporains (Chenal, et al., 2009). De fait elles sont des exemples susceptibles d’être généralisés, source d’enseignement pour le reste des villes du monde.

Modalités de soumission

Les articles proposés pourront répondre à un ou plusieurs axes proposés. Les textes proposant des comparaisons sont très encouragés. Prière de faire parvenir vos propositions (un résumé d’environ 1 000 signes, avec un titre provisoire, une courte bibliographie sur le sujet, et une biographie de quelques lignes) à l’adresse du coordinateur noragueliane@hotmail.fravant 10 mars 2021.

Coordinateurs :

Madani Safar Zitoun,Sociologue,Professeur des universités, Université d’Alger 2

Directeur du LASADET, Laboratoire d’analyse Socio-Anthropologique du Développement des Territoires

Nora Gueliane, Architecte, Docteure en études urbaines

Postdoctorante du Conseil arabe des sciences sociales (ACSS)/financée par Carnegie Corporation of New York.

Chercheure associée à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris (Cems/EHESS)

Chercheure associée au LASADET, Laboratoire d’analyse Socio-Anthropologique du Développement des Territoires, Université d’Alger 2

 

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