Sociologue et féministe : Le travail de Fatima Mernissi à l’honneur
Beyrouth, le 29 novembre 2019 - Le Conseil arabe pour les sciences sociales (CASS) organise une série de conférences annuelles en l’honneur d’éminents spécialistes en sciences sociales de la région arabe, pour faire la lumière sur les héritages exceptionnels du passé et pour inspirer une nouvelle génération de chercheurs en sciences sociales.
Le 28 novembre, le CASS a inauguré la série de conférences Fatima Mernissi à Beyrouth, coïncidant avec l’anniversaire du décès de l’écrivaine et sociologue marocaine.
Dans son discours de bienvenue, la Dre Seteney Shami, directrice générale du CASS, a déclaré : « Ces conférences visent à assurer la continuité de l’héritage, de la pensée et de l’approche de Mernissi et à développer son travail. Le CASS organisera une conférence en l’honneur de Mernissi dans un pays arabe différent chaque année pendant quatre ans, élargissant ainsi la portée géographique de ses idées afin de réduire les distances entre chercheurs et d’ouvrir de nouveaux espaces de dialogue sur les femmes, le patrimoine et les droits. »
Dans son allocution d’ouverture, M. Driss Ksikes, fondateur et coordinateur de la Chaire Fatima Mernissi à l’Université Mohammed V et à l’Institut des Hautes Études de Management (HEM) de Rabat, a brossé un tableau vivant de la personnalité et de l’approche uniques de Mernissi et a exposé les fonctions et objectifs de la Chaire nommée en son honneur.
La conférence principale a été présentée par la Dre Asmae Benadada, professeure au Département de sociologie de la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université de Sidi Mohamed Ben Abdellah, Fès. Dans sa conférence, intitulée « L’œuvre de Fatima Mernissi : approche historique et recherche sur le terrain », elle a présenté les principales dominantes du travail et de l’approche de Mernissi, soulignant l’audace et la pensée critique qui ont caractérisé cette pionnière féministe et sociologue, qui a remis en question le secret et le silence entourant les questions sensibles et tabous dans la culture arabo-islamique et aidé à déconstruire le patriarcat dans cette culture. Mme Benadada a conclu en mentionnant les recherches que Mernissi avait menées sur la façon dont la révolution numérique et les sites de réseautage social ont affecté les médias et le discours religieux, un projet qui n’a pas vu le jour du moment qu’elle est décédée avant sa réalisation.
Dans son intervention, Deema Kaedbey, coordinatrice de l’un des groupes de travail du CASS, a expliqué que : « Le groupe de travail sur les Critiques du pouvoir du CASS est en train de lire Fatima Mernissi, examinant comment son approche interdisciplinaire unique a réinterprété les récits historiques et les pratiques actuelles en mettant l’accent sur la sexualité et le mariage ». Mme Kaedbey a également souligné que l’approche de Mernissi est un rappel de l’importance de la relecture féministe des archives.
La série de conférences annuelles du CASS invite les chercheurs à présenter des exposés sur les traditions intellectuelles dans la région. La série de conférences change de thème tous les quatre ans. La première série (2015-2019) a commémoré l’œuvre de la regrettée historienne Hanna Batatu.
Le Conseil arabe pour les sciences sociales (CASS) est une organisation régionale, indépendante et à but non-lucratif qui se consacre au renforcement de la recherche et de la production de connaissances en sciences sociales dans les 22 pays de la région arabe et de la diaspora. En soutenant les chercheurs et les institutions académiques/de recherche, le CASS vise à contribuer à la création, à la diffusion, à la validation et à l’utilisation de la recherche en sciences sociales, à renforcer le rôle des sciences sociales dans la vie publique arabe et à informer la politique publique dans la région. Les quatre principes fondamentaux qui guident le CASS sont la qualité, l’intégralité, la flexibilité et l’indépendance. Ses programmes comprennent des subventions, des bourses de recherche, des conférences, des forums de recherche, des ateliers de formation et des publications. Le CASS est basé à Beyrouth, au Liban.
Fatima Mernissi
Sociologue et militante féministe : Une vie en quelques lignes
Fatima Mernissi était une femme extraordinaire. Ayant passé plus de la moitié de sa vie à écrire et à analyser l’Islam et les femmes ainsi qu’à lutter pour l’égalité des sexes, il n’est pas surprenant que Mernissi figure sur la liste mondiale 2011 du Guardian des « Top 100 femmes : Activistes et militantes. »
Fatima Mernissi est née à Fès, au Maroc, en 1940. Écrivaine, sociologue et militante féministe, elle a publié des livres qui ont atteint un large public régional et international et ont été traduits dans de nombreuses langues. Mernissi a étudié les sciences politiques à l’Université de la Sorbonne en France avant de s’installer à l’Université Brandeis aux États-Unis où elle a obtenu en 1973 son doctorat en sociologie après avoir terminé sa thèse « Beyond the Veil : Sex as Social Engineering » (Au-delà du voile : le sexe en tant qu’ingénierie sociale). Dans les années 1980, elle est chargée de cours à l’Université Mohammed V de Rabat.
Mernissi était une écrivaine prolifique, publiant des livres qui ont reçu une reconnaissance internationale, notamment « Islam et Démocratie : La peur du monde moderne » ; « Le voile et l’élite masculine ; Une interprétation féministe de l’islam » ; «Schéhérazade passe à l’Ouest : Différentes cultures, différents harems » ; « Rêves de femmes : une enfance au harem » ; etc.
En plus de son travail académique, Mernissi était connue pour son activisme en faveur des droits des femmes. Elle a mené des entrevues à la fin des années 1970 et dans les années 1980 pour cerner les attitudes dominantes à l’égard des femmes et du travail. Elle a fait des recherches sociologiques pour l’UNESCO et l’OIT. Mernissi a publié un certain nombre d’articles et de recherches qui ont eu un impact majeur dans son pays et au-delà, dans la région arabe et dans le monde entier. Cependant, ce succès a été précédé d’une interdiction de ses écrits dans certains pays arabes en raison de ses idées progressistes et de l’audace de ses discours. Cette interdiction l’a amenée à publier son premier livre « La femme dans l’inconscient musulman» (1982) en France sous le pseudonyme « Fatna Ait El Sabbah ». L’interdiction a finalement été levée et elle a pu publier sous son vrai nom. Elle a écrit « Le voile et l’élite masculine : une interprétation féministe de l’Islam », qui a été accueillie avec éloges et critiques.
Dans son article « Fatima Mernissi... Les ailes de la ‘réalité’ des femmes avec lesquelles elle s’est envolée vers le rêve», le journaliste Karim El Hani a déclaré «Fatima Mernissi est une marocaine qui a consacré sa vie à la sociologie et aux droits des femmes. Elle a tissé sa compréhension de la réalité et de la tradition pour démontrer comment le patriarcat limite l’engagement effectif des femmes dans les sociétés arabes et musulmanes. » (Marayana, 5 septembre 2019)
Mernissi a reçu de nombreux prix et distinctions internationales, notamment le Prix Prince des Asturies de littérature en 2003 et le Prix Erasmus néerlandais qui a été décerné lors d’une conférence organisée en 2004 sur le thème « Religion et modernité ». En 2015, après sa mort, une nouvelle chaire à l’Université Mohammed V de Rabat porte son nom.
Fatima Mernissi est décédée le 30 novembre 2015, laissant derrière elle un précieux héritage et une richesse intellectuelle encore plus considérable, qui l’immortalisera comme l’un des grands penseurs et écrivains du Maghreb et de la région arabe.