Le thème « société morale » auquel nous convie l’AISLF pour son prochain congrès appelle à plusieurs remarques lorsqu’il est replacé dans le contexte des sociétés arabes contemporaines.
À les observer de loin, ces dernières semblent avoir la politique comme l’une des principales catégories d’analyse, en particulier parce que, de part sa présence et son omniscience, l’État a longtemps incarné la représentation du mal dans ces sociétés. Connu pour son arbitraire, son autoritarisme, son « immoralité » (surtout envers les populations), il semble déborder des limites qui le définissent au regard notamment des grandes catégories de la morale tels que le bien et le mal, le juste et l’injuste, l’acceptable et l'inacceptable. Les événements de cette dernière décennie indiquent, cependant, que des demandes émanant des populations et appelant à la moralisation politique et à la justice se font de plus en pressantes, et que ces sociétés sont traversées par des conflits sur le contenu même du bien commun et de la vie en commun.
Notre rencontre du GT04 souhaite élargir les questionnements pour rendre compte des multiples facettes des sociétés morales qui font le monde arabe, ainsi que de prêter attention aux tensions existantes entre les pôles binaires ci-mentionnés non dans leurs principes abstraits, si tant est qu’ils existent en soi, mais dans leur fonctionnement pratique, comme le rappelle Durkheim qui assigne à la sociologie la tâche de s’interroger sur les « mœurs » telles qu’elles se pratiquent. En effet, il ne s’agit pas de partir d’une philosophie morale aussi complexe soit-elle mais de s’arrêter aux pratiques à même de désigner la dialectique des rapports qui existent entre moralité, morale et société. Notre rencontre est ouvertes, entre autres, aux questions suivantes :
La démocratie est-elle la forme la plus adéquate à la pratique juste et bonne de la politique ? La violence est-elle justifiable dans certaines situations et à certains moments et quand ne l’est-elle plus ? Les économies morales (surtout celles des pauvres et des non-affranchis) suffisent-elles à les qualifier de sujets politiques ?
En tant que philosophie morale, la religion est-elle suffisante pour délimiter le bien et le juste d’une société ou lui faudrait-il constamment se régler sur des définitions plus circonstancielles et contextuelles ? Autrement dit comment l’universalité « calmante » promue par la religion trouve-t-elle ses limites lorsqu’apparaissent dans l’espace public des nouvelles revendications d’ordre juridiques et sexuelles, comme par exemple, le droit (et non seulement le choix) à une orientation sexuelle donnée ? La place des femmes dans les sociétés arabes relèvent-elle de problématiques moralo-politique ou d’une anthropologie qui retient la majorité d’entre-elles dans les confins de l’atavisme de la « assabiya » ?
Est-il envisageable et acceptable de cartographier la vie et les activités des individus et les rendre visibles grâce aux statistiques pour produire dans le meilleur des cas une rationalisation sociale et économique dont les bénéfices pourraient se retourner contre ceux et celles qui s’y sont laissés « piéger » (pensons au clientélisme mais aussi dans les pays riches, à l’enfermement de larges portions de la société dans les catégories aliénantes du « bien-être social » ) ?
Notre rencontre est ouverte à d’autres sujets tels que l’usage des images et les positions morales qu’elles appellent, les politiques de la réconciliation et de l’oubli, les migrations, les émotions, les mondes virtuels et la colonisation...